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Ecrit par Anicet HOUNKPE - Editorialiste @ArtSoAfrica.

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'Afrique est connue pour être un continent qui regorge de nombreuses ressources naturelles. Du moins, elle est connue par certaines multinationales ou nations industrialisées comme source d'approvisionnement de leurs différentes chaines de productions à travers le monde.
L'une des caractéristiques des matières premières venant de cette partie de la planète est qu'elles sont souvent bon marché. Non pas parce qu'elles répondent aux règles presque universelles du jeu de l'offre et de la demande, mais parce qu'elles sont juste exploitées sans considération aucune des contraintes écologiques ni respect des populations vivant sur place. Les droits d'exploitation étant souvent acquis à vil prix en complicité avec une minorité dirigeante contre le développement du continent et les intérêts du peuple.
Par exemple, la Côte-d'Ivoire, est le premier pays producteur mondial de cacao (près de 35% de la production mondiale). On aurait pu penser naïvement qu'avec ce rang, Ce pays produirait les meilleurs chocolats au monde . Non, au contraire les populations productrices de cette matière première pour certaines n'en n'ont jamais mangé du chocolat.
De même que la presque totalité de l'uranium exploité sur le sol Nigérien alimente les centrales nucléaires en France pour contribuer à l'indépendance énergétique de cette dernière, des villes et villages entiers du Niger sont plongés dans le noir profond au coucher du soleil.
Il est donc clair que les richesses de l'Afrique ne profitent pas aux populations du continent. Elles sont plutôt sources de conflits et de malheurs car captées par une minorité avide de pouvoir.

l'Afrique est presque inexistante sur le marché mondial



Mais quel rapport avec la culture ? me diriez-vous. Et bien, en Afrique, les biens culturels ont le même destin que les matières premières.
En effet, comme les matières premières, l'Afrique est riche de sa culture. Mais cette richesse n'est pas au service du développement du continent.
Convenons d'abord que les biens culturels et autres créations artistiques sont des biens consommables comme les autres et qu'il existe un marché mondial pour ça. D'ailleurs, à l'aune de la globalisation des marchés, les institutions internationales, pour convaincre les pays africains de signer des accords de libre échange, leurs racontaient qu'ils bénéficieraient de la mondialisation en exportant leurs biens culturels en plus des matières premières, puisqu'ils n'ont pas de produits manufacturés compétitifs à vendre.
La suite, on la connait. Il suffit de regarder le classement des œuvres artistiques sur le marché mondial de l'art par exemple. Selon le rapport annuel du marché mondial de l'art 2016 établi par ARTPRICE, le leader mondial de l'information sur le marché de l'art, l'Afrique est presque inexistante sur le marché mondial pendant que la Chine et les USA, respectivement n°1 et n°2 mondiaux des ventes publiques en 2016, totalisent à eux deux près de 75% des ventes mondiales estimées à plus de 12 Mrds $.

... très peu de leurs oeuvres atteignent le million de dollar dans les enchères



Seule l'Afrique du sud apparaît dans ce rapport sur le segment de l'art contemporain dans les ventes publiques pour une valeur d'environ 2,7 millions de dollars. Pourtant il existe une production artistique foisonnante un peu partout sur le continent. Mais comme les matières premières ces biens culturels sont frappés de la même malédiction : la faible valeur que le marché leur attribue. Comme s'il était impossible d'échapper à ce déterminisme qui s'apparente à du fatalisme les arts africains sont trop souvent cantonnés dans les rayons produits exotiques ou bruts ou encore artisanaux. Seuls quelques artistes africains ont accès au marché international. Sur les 100 artistes africains les plus cotés (dont près de la moitié sont d'Afrique du Sud) très peu de leurs œuvres atteignent le million de dollar dans les enchères. Le prix record d'une enchère jamais obtenue sur un objet d'art africain a été réalisé sur une statue féminine de l'ethnie Sénoufo en Côte d'Ivoire pour une valeur de 11 million € à New-York chez Sotheby's en Novembre 2014, alors qu'un BASQUIAT ou PICASSO comparable se vendrait 20 à 30 fois plus cher.

le label "africain" n'a vraiment pas la cote sur le marché



On observe la même situation pour les autres créations, que cela soit la scène, la littérature, le cinéma ... le label "africain" n'a vraiment pas la cote sur le marché.
Plusieurs raisons expliquent cette forme de malédiction continentale qui pèse sur les biens culturels d'Afrique.
Soit ces biens sont considérés comme des matières premières (brutes) utilisées dans les productions occidentales dans quel cas, ils deviennent bankable puisqu'ils prennent le label occidental.
Tout le monde se souvient de Shakira (une auteure-compositrice-interprète colombienne) avec la chanson WAKA-WAKA interprétée pour la FIFA (Fédération Internationale de Football), pour la Coupe du monde en Afrique du Sud en 2010. Mais personne ne se rappelle de ZAO l'auteur de la chanson originale. 
Quelques modifications portées à l'original et un passage sous label occidental et cela peut devenir un tube planétaire.


La reconnaissance par les africains pour leur propre culture est devenu un enjeu



Il y a aussi le problème de reconnaissance des artistes du continent par leurs propres concitoyens. Quand ils ne sont pas vilipendés ou persécutés par des pouvoirs liberticides, ils sont souvent marginalisés et vivent dans la misère.
Un ami musicien africain vivant et créant sa musique sur le continent m'a confié que pour que son travail soit reconnu chez lui, il se sent obligé de venir en Europe faire son lancement, alors que son public est bien en Afrique.
Certes, il y a une meilleure qualité des outils de production en Europe, mais il faut reconnaître qu'il y a une appétence des africains pour les produits occidentaux, y compris les biens culturels. La décolonisation des mentalités sur le continent n'a pas encore vraiment abouti.
La reconnaissance par les africains pour leur propre culture est devenue un enjeu d'autant plus grand que les pays dont les artistes s'en sortent le mieux sont ceux dont les classes riches achètent les œuvres de leurs concitoyens comme l'Afrique du Sud, le Nigéria ou encore le Maroc. 
L'autre raison, non moins importante, est la non-existence d'un modèle économique pensé par les gouvernants africains, ni de politique culturelle digne de ce nom : pas de construction de salles de spectacle, de musées et autres infrastructures culturelles.
Comme les matières premières, beaucoup trop de gouvernements du continent n'ont pas pris conscience de la richesse des pays qu'ils dirigent. La culture n'est pas considérée comme un outil de développement, de valorisation des identités et donc de leurs peuples.
D'ailleurs, beaucoup de ces pays sous-traitent la culture aux instituts culturels étrangers tels que l'Institut Français, l'Institut Goethe, etc. qui ont pour but la promotion culturelle des pays qu'ils représentent. La situation est telle que les artistes africains n'ont souvent comme interlocuteurs que ces instituts pour s'intéresser à leur création.
Il est  maintenant urgent que toutes les matières premières du continent soient transformées, valorisées afin que l'Afrique joue pleinement sa partition dans cette globalisation des cultures.

STATUE FEMININE Ethnie_Sénoufo (Vendue 11 million d'€ en 2014)
STATUE FEMININE Ethnie_Sénoufo (Vendue 11 million d'€ en 2014 aux enchères à New-York)


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