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HOMMAGE / Ecrit par A. S. HOUNKPE - Rédacteur @ArtSoAfrica.

Fela Anikulakpo Kuti, l’inventeur de l’Afrobeat, est un musicien talentueux du Nigéria, multi-instrumentiste, et un véritable chef d’orchestre. C’est aussi un panafricaniste engagé, dans la droite ligne de Kuame Nkrumah, prônant que l’Afrique doit s’unir et retrouver ses racines perdues.

Profondément anticonformiste, il est un activiste engagé contre le pouvoir central nigérian, à qui il reproche d’être corrompu et à la solde des puissances impérialistes. Il s’installe avec ses nombreuses femmes et danseuses, enfants, musiciens, amis et sympathisants dans un quartier populaire et alternatif, qui devient de fait une république, créée par lui de toute pièce, dont il proclame l’indépendance. Ainsi naît KALAKUTA REPUBLIK, la République des canailles ou des sans-morale. Le quartier qui échappe totalement au contrôle de l’Etat est vite qualifié par lui de zone dangereuse, où crimes et trafics en tous genres prolifèrent. Cette sorte de «no-go zone», où résideraient des hors-la-loi avec Fela à leur tête, est officiellement déconseillée par les autorités. Son activisme politique lui a valu beaucoup d’ennuis. Il a été mis à plusieurs reprises en prison et harcelé par la police, sa maison encerclée par les militaires et saccagée. Sa mère perdra la vie dans cette violence d’Etat.

Cette violence n’a pas empêché Fela de recréer « The Shrine », Le Temple, à Ikeja, le lieu où il prie les dieux Shango, Ogun  et autres divinités de la religion Vaudoun avant d’aller sur scène. Fela utilisera pendant toute sa carrière la musique comme arme de résistance, en se produisant dans le Shrine plusieurs fois par  semaine devant son public et ses fans, jusqu’à sa mort le 2 août 1997.

Quinze ans après sa mort, le Shrine a été réhabilité et rebaptisé « The new SHRINE » par Femi Kuti, son fils aîné. Sa maison aussi a été restaurée et transformée en musée par sa famille, le KALAKUTA Museum.  C’est en réalité toute son œuvre qui a été réhabilitée car une partie de la jeune génération  africaine commence à prendre conscience du caractère avant-gardiste de ses créations - comme de l’importance de sa vision pour l’Afrique. Il est aujourd’hui une véritable source d’inspiration pour la jeunesse.

C'est sans doute ce qui a fortement inspiré Serge Aimé COULIBALY le chorégraphe Burkinabé dans sa nouvelle création KALAKUTA REPUBLIK.

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à où Serge Aimé COULIBALY a été fort dans sa création de danse contemporaine KALAKUTA REPUBLIK, c’est qu’il n’a pas cherché la facilité. Oui, il faut avoir de l’audace pour s’attaquer à cette légende. La facilité aurait par exemple consisté, une fois choisi de travailler sur la musique de Fela, à se contenter de la revisiter avec son œil de chorégraphe contemporain, ce qui aurait sans doute donné un concentré de frustrations, jamais assez proche ou flirtant de trop près avec le simple plagiat, car Fela lui-même avait une idée très précise de ce que représentait la danse et la mise en scène dans sa musique.

Là où Serge Aimé COULIBALY a eu du flair artistique, c’est qu’il a compris que Fela, c’est tout ou rien. Qu’on ne chorégraphie pas sa musique en laissant de côté le personnage. Qu’on ne chorégraphie pas sa musique sans représenter la couleur des émotions qu’elle dégage. Qu’on ne chorégraphie pas sa musique sans les histoires qu’elle raconte. En bref, qu’on chorégraphie le personnage FELA avec tout son univers.

Là où Serge Aimé COULIBALY a eu du génie, c’est qu’il a déchiffré tel un musicologue la musique de Fela et qu’il en a eu une bonne lecture. La particularité de cette musique, c’est la base rythmique qui est stable, et les variations et les solos qui sont opérés par les cuivres et/ou le piano de FELA. Rappelons que dans un show de Fela, il y a souvent une vingtaine de musiciens, choristes et danseurs à l’œuvre, sans la moindre cacophonie.

"... la danse étant le mode d’expression, et la musique le canal de communication privilégié dans ce monde-là"

C’est cette harmonie que le chorégraphe a révélé avec talent dans KALAKUTA REPUBLIK.  Au début de la chorégraphie. On peut observer 3 danseurs et 3 danseuses sur la scène, en train d’exécuter des mouvements, chacun selon ce que la musique leur inspire. Puis, en maître de cérémonie, Serge Aimé COULIBALY entre sur scène comme Fela entrerait dans le Shrine. Rappelez-vous, dans le Shrine, on communique avec les mânes des ancêtres panafricanistes et les divinités endogènes, la danse étant le mode d’expression, et la musique le canal de communication privilégié dans ce monde-là.

Le rôle du maître de cérémonie à cet instant sur scène est de créer une unité en synchronisant les mouvements des 6 danseurs. Il faut parler d’abord le même langage avant de pouvoir rentrer en communion avec les dieux. C’est ainsi que les 6 danseurs vont se retrouver en un bloc unitaire devant le chorégraphe en chef sur son invitation. Cette fois-ci, tout le monde exécute le même mouvement. Cela consiste à balancer  légèrement son corps et sa tête de façon ferme et dynamique. Un va-et-vient tonique et régulier de l’ensemble du buste. Ce mouvement d’ensemble est une préparation psychologique à la mise en transe collective. Les danseurs ont également par moment les deux poings serrés et levés vers le ciel, en signe de prise de confiance en soi.
  

"You play music? Go for car! " En français « Tu joues de la musique ? Monte ! ».

            
Une fois, la mise en condition terminée et la connexion établie avec le cosmos, le chorégraphe-chef-d’orchestre exhorte chacun des danseurs à communiquer directement avec les divinités. On observera ainsi des mouvements de danse en solo - cette façon personnelle que chacun a de s’exprimer avec son corps. Une liberté d’expression qui rentre quand même dans un cadre bien défini par le chef. Parce qu’il faut se le rappeler, avec Fela, il n’y a pas de place à l’arbitraire, la musique est une question de rigueur et de discipline. Pour l’anecdote, il se raconte dans le milieu que dès qu’un musicien ne respectait pas cette rigueur, il s’en séparait sans ménagement. Il lui suffisait de descendre dans Lagos avec son minibus pour en recruter d’autres, souvent des amateurs, avec sa célèbre phrase : « You play music? Go for car! » En français « Tu joues de la musique ? Monte ! ».

Dans le spectacle, Serge Aimé COULIBALY joue bien de ça. On peut le voir savourer en retrait de la scène les prouesses de ses poulains bien entrainés, puis revenir soit pour participer à la transe générale soit pour exécuter une danse en solo. C’est d’ailleurs seul sur scène qu’il marquera la fin de la première partie, tel un grand prête vaudoun qui remercie les dieux d’avoir permis cette harmonie, avec  quelque chose qui ressemble à une offrande : une substance couleur jaune d’or, qu’il étale sur son ventre, symbole de la circulation d’énergie échangée entre hommes et divinités.



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